A mes soeurs

Publié le par Fiona Vanessa

A mes soeurs

Je suis plurielle. Je suis femme bien campée dans sa singularité. Mais je suis aussi soeur, mère, amie fidèle. Je les ai vues, comme moi, se pâmer et se languir pour un beau specimen du sexe opposé. J'ai senti leur douceur, leur amour dans le moindre abaissement de pâte sablée, j'ai versé comme elles le citron, le chocolat. Je les ai entendues frémir de douleur en mettant bas, et je n'ai pas honte de dire que j'ai crié, me suis liquéfiée quand il m'a fallu descendre dans l'arène et mener le combat le plus décisif. Je n'ai pu me retenir de penser qu'accoucher était un acte d'amour, une offrande à mes beautés chéries sur le tapis rouge de mon corps.

Je les ai aimées lorsque parturiente elles m'ont prêtée main-forte, parce que je ne voulais pas de cachets. Lorsqu'elle m'a accompagnée, amie d'un jour singulier, voyant ma peine derrière le masque, de devoir me laisser ouvrir le ventre pour en extraire mon dernier-né, à qui je ne pus offrir que mon lait, ma joie. Je les ai aimées davantage encore lorsqu'elles m'ont prise par l'épaule, tenues dans leur regard de soeur et guidées hors des méandres du chagrin, qui d'un clin d'oeil, qui d'une écoute amie, qui d'un geste généreux.

Car elles sont ainsi. Elles sont le coeur, elles sont les bras, elles sont l'accueil indéfectible pour la mille et unième fois.

Tout comme elles, je suis à la fois " lune pleine et reine de la nuit puis croissant insignifiant" * que l'oeil averti distingue à peine.

Parfois je tire le rideau sur mon âme inquiète, honteuse de n'être plus égale à elles-mêmes et de ne trouver la force que de délivrer sans bruit le spasme de mes sanglots, avant que de remettre le pied à l'étrier.

Tout comme tant d'entre elles, j'ai eu ma part d'humiliations et d'indifférence, et violentée, je me suis reconnue parmi les chanceuses qui s'en tirent seulement à moitié traumatisées, décidées à en revendre, à donner du fil à retordre à la bête humaine.

Tout comme elles, j'ai souri lorsqu'elles se sont étonnées de me voir sans fiancé.

C'est que mon coeur est lent à recouvrer la vue, le souffle. C'est que je sais l'importance des silences entre les phrases mélodieuses.

C'est que, tout comme certaines, je sais que le Très-Haut me garde tout contre Lui, son enfant chérie qu'il envoie au champ de bataille mais dont il suit la pérégrination.

C'est que j'ai cherché à mon tour, la grâce dans un son, dans un ciel d'été. C'est que j'ai voulu être air avec l'air, me fondre dans les molécules et n'être plus qu'oxygène pur adossé à un chêne, eau avec l'eau, fontaine intarrissable sur la beauté des choses, feu brûlant du volcan prêt à jaillir, sable insaisissable sur la grève.

Tout comme elles, je me suis découvert une nature faite d'un ruisseau de désir, de souffles entrecoupées, de chairs déployées.

Pas tout à fait comme elles ; car parfois, je ne dors pas, je veille, ne rougis pas, je contemple, et j'ai vu l'instant sacré dans son corps offert, l'infini chemin où menaient nos caresses. La transcendance de mon amour vers mon Eternel Très-Haut.

Mais tout comme elles, fragile fleur je suis, qui peut perdre son parfum si le vent est trop fort. Trop glacé. Tout comme elles, je suis l'éphémère fleur de sous-bois qui chuchote, forget-me-not ! ne m'oublie pas !

Tout comme elles, je frémis aux nouvelles du monde, jusqu'au tréfonds de ma chair. Qu'en sera-t-il pour mon fils, pour ma fille ? N'ai-je donc déployé tout mon amour que pour qu'ils se blessent aux huisseries mal huilées et rouillées de ce monde en déroute ?

Tout comme elles, je ne supporte pas qu'on blesse un autre dans sa chair, qu'on le meurtrisse, qu'on le prive de la sève porteuse d'un idéal, car je suis donneuse de vie, plutôt que de mort, et mon chant est amour plutôt qu'appel à abattre.

Je sais le cadeau précieux qui me fut donné. Je le protège comme je peux, mais mon bouclier est petit, vieux comme le monde, et peut-être insignifiant devant la déferlante de haine.

Tout comme elles alors, je n'ai que mes yeux pour pleurer, que mon coeur pour prier, que mes mots pour dire, "arrêtez vos conneries, avant de vous saborder vous-mêmes, et nous avec".

De grâce !

* Idris Lahore, Le chant de l'éternité, la voie de l'éthique soufie.

Photograpkie Josefine Jonsson

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