Comment je suis devenu(e) un homme

Publié le par Fiona Vanessa

 Comment je suis devenu(e) un homme

Fantaisie ; en miroir avec le texte d'Arthur Roubignolle, Comment je suis devenu(e) une femme.

Maître Roubi, je réclame votre indulgence, car je ne suis pas comme vous, un féroce tordu des mots qui nous fait bien sourire ! J'ai voulu, à votre instar, tenter le changement de peau, trouvant cela plus élégant que les propos de part et d'autres sur la différence entre les sexes. Me vouant peut-être à la taillade en pièces par ceux qui manqueraient de fantaisie...

Quand j'étais femme, je me disais, c'est un monde d'hommes, je ne trouverais jamais d'alter ego qui préfère discuter de Schopenhauer sans me renvoyer à mes chiffons ou bien sans me regarder comme si j'étais un éclair au chocolat…

Ma vie de célibataire, mes copines en disaient, mieux vaut être seule que mal accompagnée, en même temps je les voyais toutes bras dessus bras dessous avec un quidam. Je doutai donc de la pertinence de ce propos. Mais je ne cherchai pas pour autant à rencontrer un homme. Chat échaudé craint même l'eau froide. Je préférais relire mes classiques. J'étais une maman comblée, heureuse de prêter main-forte aux parents d'élèves pour une tarte, un coup de main à la kermesse. Pourtant, force m'était de reconnaître que je restais sur ma faim de vie sociale, était-ce mon côté masculin qui me titillait ?

Si dans la langue française, cher Arthur, on dit un homme à femmes ; que dit-on d'une femme à hommes ? Rien. Pas de mots. Ou de vilains mots.

Un jour mon médecin m'a trouvé un joli mot, « vous êtes une amoureuse ».

Et pour un homme à poigne ? Une femme forte ? Un homme de confiance ? Est-ce toujours la même vieille soupe judéo-chrétienne qui empêche de faire confiance à une femme, parce qu'Eve a croqué dans la pomme ? Et le baiser de Judas, alors ?

Ma mutation s'opéra malgré moi. Je me réveillai dans de beaux draps. Une main carrée et drue posée sous ma tête me tira du lit en un centième de seconde, je courus à la salle de bains, oui, le visage avait suivi, les jambes velues, les mollets de cycliste, la coupe militaire, la silhouette en V sauf pour le repli des poignées d'amour…Aucune paire de chaussure assez grande. Je rasai les murs dans ma tenue improvisée et mes tongs trop courtes, rappliquant chez mon frère pour qu'il me dégotte des pompes pointure 44, une ceinture adaptée pour garder mon froc sur le cul, un slibard confortable et un Marcel bleu délavé

. Je découvrai les joies du rasage matinal, pas très adroite, m'entaillai la joue au niveau de la maxillaire, mes mains n'ayant pas encore enregistré qu'elle s'était dotée d'une proéminence nouvelle. J'avais pensé avoir le temps pour un deuxième café, n'ayant ni vernis à ongle à faire sécher, ni mascara à m'administrer . C'était sans compter sur les poils. Et sur les cinq minutes que je passais pour trouver deux chaussettes jumelles. M'enfin !

A moi le privilège d'entrer dans les pubs select for gentlemen only, ou bien dans une mosquée si l'envie me prenait d'en pénétrer le mystère ! A moi les discothèques payantes ! Les rateaux ! les dimanches sur les gradins du stade de rugby local à vociférer « joli ! » « vendu ! » et oui, l'augmentation de mon salaire de femme en salaire d'homme, à travail égal !

J'allais pouvoir goûter aux instincts néanderthaliens de chasseurs de gazelles, à la franche camaraderie, et m'initier au rang de protecteur de la tribu ; avec les risques que cela comporte. Je m'adonnerai à déguster l'instant présent d'un calendos ou d'un sausiflard sans remords. Boire trois verres de vin par jour plutôt que deux pour une femme, vu ma nouvelle constitution physique. Manger un kebab ou une choucroute sans me faire l'effet d'un ogre. Tordre le museau devant une salade verte au vinaigre balsamique. Parler cru en me fourrant les doigts dans le nez ! Happer ma cacahuète en plein vol et améliorer mon lancer de noyaux d'olive direct dans la corbeille à papier sans me lever du canapé ! Droit au but !

Etre débarrassée du même coup de la corvée des règles, des coups de mou menstruels, c'était quelque chose, cesser de penser, est-ce que j'ai bien pris ma pilule ? c'était hier soir ou ce soir ? de devoir se relever pour vérifier, et de ne pas avoir un fard à piquer quand l'alarme de mon téléphone me le rappelle à 21hoo au milieu d'un cercle d'amis sans que j'ai eu la présence d'esprit de la désactiver !

Se reposer le samedi devant la télé ou à traîner avec les potes sans penser à la pile de repassage qui m'attendrait dimanche soir avec le courrier administratif en retard et le four à décaper et m'empêcheraient de me détendre tout à fait.

Aller chez le garagiste sans craindre d'être arnaquée juste parce que je n'ai pas de barbe.

Dire une fois et une seule aux enfants d'aller se coucher avec ma voix de baryton.

Rentrer tard chez moi sans craindre d'être violée dans un recoin, car j'ai enfin la carrure dissuasive.

Ni me désespérer pour une roue embourbée. Je n'ai qu'à appeler mon pote Jean-Fabien, ou Erge, ou ce vieux farceur d'Arthur qui me tireront de là avec une sangle ou deux !

Heureusement devenue homme à l'âge adulte, j'ai échappé au service militaire et aux soliloques de mon père sur ce que doit être un homme, mon fils.

Faire des œillades aux filles, je n'en suis pas encore là, mais l'idée d'aller aider ma voisine d'en face avec son placard de cuisine dégondé ou son robinet récalcitrant et me sentir après ça, utile et apprécié me plait bien. Je serai un surhomme aux chevilles légèrement enflées. Avec des poils, une pomme d'Adam et un tuyau de poêle tout neufs à apprivoiser. Je saurai enfin si le fait d'avoir des couilles change la donne, apeure les protagonistes et éloigne les chieurs !

Même si un homme peut en cacher un autre, je sais pertinemment qu'il y a plus de femmes esseulées que d'hommes disponibles, si on exclut les loques humaines et les dégénérés de tous bords. Etant devenu un homme, je vais avoir, à tous les coups, une grappe de filles à mes trousses, qui cherchent toutes la sécurité et un double porte-monnaie. Afin de pouvoir manger du zèbre en brochettes barbecue avec les baies de la cueillette et les racines de panais, elles seront prêtes à se lover sous la même peau d'ours que moi.

Elles me brancheront à une table de bistrot, où je tenterai de mettre de l'ordre dans ma dernière chronique, m'arrachant quelques poils sur le caillou. Elles me dévisageront et commenceront invariablement par un « vous êtes écrivain ? » sans doute imagineront-elles que je les comprendrai mieux, que je trouverai des mots doux à se pâmer…

ça ne m'est jamais arrivé quand j'étais une femme, personne du sexe opposé ne m'a adressé un « vous écrivez ? »

L'écrivain, son chat, son whisky, son écharpe blanche (dixit Jean – Fabien), ça doit être plus séduisant au masculin.

Enfin j'avais le stylo, le chat, le foulard blanc, c'est sûrement parce qu'il manquait le whisky à ma panoplie ! N'est pas Bukowski qui veut !

Je me sens déjà devenir objet de convoitise à qui s'adressent un décolleté, une cheville, un regard soutenu et qui m'envoient comme sous-texte, toi, je te regarde parce que tu es un homme, un vrai.

Mes pauvres chéries, si vous saviez !

Qu'est-ce que ça me fait de me sentir viril ? Sûrement, à quelques poils près, la même chose de me sentir féminine auparavant ; un homme, une femme tranquilles, en harmonie avec soi. Prêt à se mélanger qui au sexe fort, qui au sexe faible, à se sublimer, et à se sourire sur l'oreiller.

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